Mon avis
Quand Stéphane Guillerme m’a contactée pour me présenter son livre « L’inde sous la peau, un aperçu du tatouage en Inde », cela m’a beaucoup intriguée. Je suis déjà allée en Inde voyager rapidement et n’avait pas remarqué, dans les régions visitées, de personnes tatouées. Et je peux vous dire que ce livre est un voyage en hors du commun pour toute personne comme moi adorant voyager et s’intéressant de près à la culture tattoo.
15 voyages en Inde et 7 années de recherches assidues ont permis à Stéphane de livrer cet ouvrage. En Inde, le tatouage est passé d’une sous-culture méprisante à une pratique branchée, comme nous l’explique si bien le Dr Jehangir Kohiyar dans la préface. Ce médecin indien est par ailleurs devenu tatoueur en 1974 et est resté le seul tatoueur de Mumbai pendant 20 ans !
L’ouvrage est divisé en 3 parties :
- TATOUAGE TRIBAL : Celui-ci correspond à la culture ancienne du tatouage, une pratique ancestrale faite à la main avec une simple aiguille et de l’encre de suie mélangée à de l’eau ou de l’huile. Cette tradition est perpétrée principalement par les femmes, alors que les hommes sont peu tatoués et portent plutôt des symboles hindous comme le serpent naga. Comme tout tatouage tribal, les symboles diffèrent selon les ethnies et ont pour objectif d’indiquer son clan et de s’embellir.
- TATOUAGE DE RUE : C’est un tatouage populaire qui se pratique généralement à même le sol poussiéreux, dans la rue ou lors de fêtes religieuses. Malheureusement, les conditions d’hygiène y sont inexistantes. Depuis l’apparition des premières machines à tatouer il y a environ 50 ans, le tatoueur de rue, posé sur le bord de la route, propose des flashs aux motifs plus ou moins spirituels ou esthétiques pour quelques roupies.
- TATOUAGE URBAIN : Le tatouage moderne est effectué dans de véritables salons de tatouage. Le premier salon ayant ouvert en 2003, il en existe désormais dans quasiment toutes les villes. Phénomène récent, il s’était particulièrement développé à Goa avec par exemple la famille Leu dans les années 70. De style souvent réaliste, de petites pièces ornent maintenant la peau des modèles de publicité et les stars de Bollywood.
Je tiens à souligner la richesse et la beauté des photos de cet ouvrage, qui permettent une réelle insertion dans le monde du tatouage en Inde, à travers les époques et les régions. Un véritable voyage visuel !


Interview
Tout d’abord, qui es-tu ? Peux-tu te présenter brièvement ?
Cela fait une trentaine d’années que je voyage sur la planète, régulièrement. Ma rencontre avec l’Inde s’est faite voici vingt ans. Pendant plus de dix ans j’y ai fait de la recherche graphique, tout en effectuant une forme de recherche spirituelle, sans maitre ni gourou.
De ces deux spécificités sont nés plusieurs livres. Voici 12 ans, un premier livre « La couleur des dieux », puis un an plus tard un livre qui est depuis tout ce temps une forme de best-seller « Dieux et déesses de l’Inde », un livre pédagogique illustré. Ensuite, « L’Inde s’affiche » où je distille le meilleur de mes recherches graphiques et en profite pour amener le lecteur dans différents univers de la culture indienne. Puis, pour compléter le triptyque sur les religions de l’Inde, j’ai écrit un ouvrage très personnel, « God is pop », où je me suis appliqué et amusé à poser des textes anciens, religieux et spirituels sur des visuels retravaillés Pop Art. Je suis un autodidacte en écriture, photographie et infographie, j’aime gérer mes projets intégralement en solo.
Peux-tu nous expliquer ton choix de sujet ? Pourquoi faire un livre sur le tatouage en Inde ?
En 2009, alors que « God is pop » venait de sortir, je me retrouvais sans sujet particulier à développer. J’ai d’abord pensé m’investir dans un sujet graphique aux abois : les peintres de hoardings, ces peintres-artisans-artistes qui travaillaient principalement pour l’industrie du cinéma indien. L’arrivée du numérique et des impressions sur toile vinyle quelques années auparavant avaient rapidement balayé cette pratique et après 15 jours de recherche à Chennai, me trouvant bredouille, je décidais de laisser tomber le sujet.
Mon voisin en France est tatoueur. Nous avions déjà eu des discussions sur le tatouage en général, et ethnique en particulier. Je décidais donc de prendre en photo quelques bouzilles sur les bras des Indiens ainsi que quelques tatoueurs de rue que je rencontrais au hasard de mes pérégrinations dans le Sud de l’Inde. A mon retour, je lui montrais cela, et à ce moment j’eus une révélation : j’allais me focaliser sur le sujet, aller à la rencontre des tatoueurs et des tatoués de l’Inde. Connaissant déjà bien le pays, je savais que j’avais devant moi un sujet qui allait me prendre au bas mot cinq ans. Cela fait sept ans aujourd’hui alors que sort mon nouvel ouvrage « L’Inde sous la peau ».
Comment as-tu fait pour constituer cette mine d’informations et de photos ?
Pour réaliser ce type d’ouvrage, de surcroit dans un pays aussi vaste que l’Inde, six fois grand comme la France, il faut de la méthode, sinon on a vite fait de se perdre et d’avoir l’impression de ne pas avancer. Chaque année je choisissais donc de cantonner mes recherches à un espace géographique limité : un, deux ou trois états indiens maximum à chaque voyage. Chaque voyage durait de 3 à 4 mois, et il m’en a fallu 7 pour réaliser ce livre. Je faisais un peu de recherche au préalable afin de connaître un peu le terrain où j’allais, mais très peu d’informations sont disponibles.
Alors, sur ce vaste territoire, j’ai souvent navigué à vue. Je me suis appliqué à visiter tous les pratiquants de cette culture du tatouage, des villes-mégapoles indiennes jusqu’aux recoins des fins fonds de l’Inde. Ce fût une très vaste entreprise qui m’a rarement laissé le temps de buller le nez en l’air. Et c’est souvent que j’en ai eu ma claque mais je suis quelqu’un de particulièrement persévérant. Mais avec « L’Inde sous la peau » je m’en sens aujourd’hui plus récompensé que je ne l’ai jamais été dans ma vie.


As-tu pu expérimenter justement de te faire tatouer là-bas ? Raconte-nous !
Oui je me suis fait tatouer trois fois en Inde.
La première fois, c’était lors d’une visite à l’Est du Madhya Pradesh, l’état du centre de l’Inde. C’était la première fois, après déjà 6 ans de recherche, que je rencontrais une personne tatouant encore à l’ancienne. Ces personnes de la caste des Badi sont les tatoueurs attitrés des femmes Baigas, les plus tatouées d’Inde. Seulement ça n’était pas la bonne saison car les Baigas attendent de percevoir l’argent des moissons, vers avril, pour se faire encrer. Puis elles ont deux mois devant elles pour se faire piquer, jusqu’à ce qu’il fasse très chaud pour éviter les infections dues à la chaleur. J’avais fait tant de chemin pour voir cela que ma déception fût énorme. Alors j’ai pris la décision en 10 minutes d’être le tatoué de la journée. Deux jours plus tard, mon pied a doublé de volume et pendant cinq jours j’ai eu de fortes douleurs dans le pied et la cheville devenue noirs comme de l’ébène. Pendant trois semaines, j’ai eu peur que l’on ait à m’amputer le pied. Un chaman du village est même venu faire des incantations. Deux croûtes d’encre sont tombées, et finalement tout s’est doucement arrangé. Bien entendu, je n’encourage pas ce genre d’expérience.
Puis je me suis fait tatouer par Mo Naga, un tatoueur originaire du Nord-Est de l’Inde. Les Nagas étaient des coupeurs de têtes. C’est la seule culture traditionnelle que j’ai rencontrée dont les hommes pratiquaient le tatouage traditionnel. Un tatouage identitaire, un tatouage de guerrier, un tatouage viril. Mo Naga est le seul tatoueur indien, à ce que je sache, qui fait aujourd’hui la promotion du tatouage traditionnel. Je l’ai visité en Assam, l’état frontalier du Bangladesh, de la Chine et de la Birmanie. Aujourd’hui, il est revenu s’installer à Delhi et a ouvert tout dernièrement un studio de tatouage qui s’appelle Godna Gram (le village du tattoo) qui a pour but la promotion des tatouages traditionnels. Il m’a tatoué sur l’avant-bras gauche, à la machine électrique, des motifs traditionnels Naga, des motifs évoquant la peau de serpents, d’autres évoquant un animal sacré (le Mithun, bœuf semi-sauvage que l’on ne rencontre que dans cette région). Il m’a également encré le troisième œil Naga.
Et pour finir, je me suis fait tatouer par une star du tatouage indien qui est devenu aussi un ami, Manjeet Singh de Delhi. Il m’a inscrit sur la main droite (le côté pur en Inde) un « Sab Kuch Milega » en écriture gang. Cette courte phrase signifie « Tout est possible, tout est disponible » me rappelant, lorsque je suis dans le doute, qu’il faut continuer le combat. Manjeet a une histoire unique. Avant d’être tatoueur, il a été peintre de panneaux publicitaires pour l’industrie du cinéma indien pendant 15 ans. Puis, lorsque le numérique est apparu avec ses ordinateurs et ses grosses imprimantes, il a perdu son travail. Il s’est alors initié en solo au tatouage, devenant rapidement un des tatoueurs les plus côtés d’Inde.


Comment le tatouage est perçu par la société indienne et quel lien fais-tu avec notre culture ?
Le tatouage en Inde n’est pas très bien perçu, mais il y a différents niveaux d’acceptation et de rejet.
Dans les sociétés tribales, les anciens pleurent souvent sa disparition. Le tatouage y était un tel symbole identitaire. En même temps, face à la société majoritaire indienne/hindoue qui souvent méprise ces identités tribales, le tatouage est une marque ostracisante. Alors les parents sont aussi contents que leurs enfants et petits-enfants ne se fassent pas tatouer afin d’être un peu plus « invisibles ».
Pour ce qui est de la culture majoritaire, le tatouage a longtemps été une marque de mauvais goût laissée bien souvent aux classes inférieures. Aujourd’hui c’est encore souvent le cas. Mais est apparu le tatouage moderne qui s’adresse principalement à une jeunesse urbaine « branchée », ultra-connectée à l’internet et qui s’est alimentée de tout un tas de programmes télé occidentaux dont L.A Ink et Miami Ink. Pour eux, le grand écart est souvent au rendez-vous. Dans certaines circonstances du quotidien, il vaut mieux cacher ses tatouages, et dans d’autres circonstances, il faut les montrer. La société indienne, bien qu’affublée d’éléments visibles d’une société moderne est encore dans le fond très traditionnelle. Cela peut engendrer une forme de schizophrénie pour certains de ses citoyens.
Retrouvez tous ces récits détaillés sur son blog God is Pop.
En résumé : un formidable et passionnant voyage dans le temps et la culture indienne !
« L’Inde sous la peau » – Stéphane Guillerme – Almora – 25 €
Disponible également directement chez l’éditeur ou avec l’auteur si vous souhaitez une dédicace : sg6756@hotmail.com
Bonne lecture !
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